Le propos des conférences est de faire le lien entre le salon de lutherie, les activités festives (concerts, bals) présentes au Son Continu et la longue histoire des musiques traditionnelles et populaires qui les sous-tend. Il s’agit d’une histoire récente, comme le collectage des années 1950 à 1980, ou plus ancienne, celle des luthiers et des instruments redécouverts au gré des recherches. Notre volonté d’oeuvrer sur le terrain de l’éducation populaire est présente depuis longtemps, tant dans les milieux folkloriques, qu’au sein du revival depuis 1970. La parole des artistes qui se produisent au Son Continu vient compléter le bouquet garni des conférences. Puissent donc ces héritages, savoirs et expériences nourrir les créations musicales des temps à venir…
L’émotion ressentie l’an passée à l’évocation de collectes où l’enquêteur faisait petit à petit « partie de la famille » nous emmène cette année en Savoie et Limousin, rencontrer des violoneux et un chabretaire. Une journée est consacrée à la « longue marche » du renouveau des musiques traditionnelles en France, du Front populaire à l’explosion folk après 1968. Et un après-midi sera dévolu à la vielle, des luthiers français d’Ancien Régime aux explorations contemporaines de Gilles CHABENAT.
Jeudi 13 juillet
À la (re)découverte des violoneux savoyards
Guillaume VEILLET
Disparu en mars 2021, le musicien et collecteur Jean-Marc JACQUIER a passé les derniers mois de sa vie à travailler sur son projet de livre-CD consacré au violon traditionnel en Savoie : il faut dire que la thématique lui tenait particulièrement à coeur, lui qui avait enregistré une vingtaine de violoneux dans les années 1970 et 1980 ! Son co-auteur et ami Guillaume VEILLET a dû achever le travail sans lui, et l’ouvrage est finalement sorti en 2022 dans la collection « Patrimoine » de Terres d’Empreintes.
Intitulé « Violoneux savoyards », celui-ci propose la redécouverte d’une tradition d’une grande richesse, bien que peu connue, à travers une galerie d’une quarantaine de portraits, illustrée par des documents sonores dont les plus anciens remontent à 1952.
Quelle est la place de ces musiciens savoyards dans l’archipel des traditions de violon européennes ? Guillaume reviendra tout à la fois sur leur technique instrumentale, sur leur répertoire, mais également – et surtout ? – sur leur personnalité, à partir de nombreuses anecdotes issues de souvenirs de collectage.
Guillaume VEILLET se consacre au patrimoine musical et sonore depuis une vingtaine d’années. Journaliste spécialisé (il a notamment été rédacteur en chef de Trad Magazine et chroniqueur sur France-Musique), on lui doit aussi une trentaine d’ouvrages et publications discographiques, dont le coffret de 10 CD « France, une anthologie des musiques traditionnelles » (FRÉMEAUX & Associés, Grand Prix de l’Académie Charles CROS en 2009).
Depuis 2010, il est de retour dans sa Savoie natale où il mène de nombreux projets autour du patrimoine culturel immatériel alpin, de la collecte à la valorisation de celle-ci (éditions, expositions, etc.).
Vendredi 14 juillet
Aux origines du « mouvement folk », du Front Populaire aux années 70
Jean BLANCHARD
À la fin des années 1960 éclot en France ce que l’on nomme le « mouvement folk », qui prône l’urgence d’aller recueillir auprès des « derniers témoins » de la société rurale les savoirs musicaux et chorégraphiques régionaux. Ces cultures régionales, ces répertoires de l’oralité, ces techniques de jeux, de chants et de danse doivent être conservés, publiés et transmis afin d’en perpétuer la pratique. Il s’agit de mettre en place toutes les opérations utiles à ces objectifs, collecte, conservation, transmission, édition sonore, pratique publique.
Les acteurs « folk » d’alors, portés par une ferveur militante et un dynamisme enthousiaste, ont souvent l’impression, sinon la certitude d’être les pionniers d’une telle démarche. Les travaux historiques actuels décèlent, pour cette période des années 60, et pour une large part des acteurs, une méconnaissance initiale des collectes et des politiques de valorisations préexistantes, régionales et nationales. On cite régulièrement l’influence du folk-song américain comme déclencheur de ce mouvement français, en référence à une lettre ouverte de Pete SEEGER, lettre qui invite les jeunes générations des pays du monde entier à redécouvrir et promouvoir les héritages musicaux populaires de leur propre culture, et à résister au modèle culturel américain.
La référence à ce message laisse entendre que la France n’aurait quasiment jamais considéré avant cette période l’héritage culturel oral des sociétés rurales. Dans chaque région, les acteurs « folk » néophytes vont rapidement découvrir les travaux des collecteurs du XIXe et XXe siècle, mais les politiques du Front populaire et de l’État Français en faveur de ces biens culturels restent, aujourd’hui encore, méconnues. Un demi-siècle plus tard, il est peut-être temps de tenter d’éclairer cette question.
Né près de Bourges, Jean BLANCHARD s’initie dès l’enfance à la culture de tradition orale et à la recherche ethnographique au sein des groupes d’Arts et Traditions Populaires Notre Berry et Les Thiaulins de Lignières. Au coeur du mouvement folk naissant, il participe à la fondation du folk-club lyonnais La Chanterelle, puis du groupe La Bamboche dès sa première version. Au cours du demi-siècle qui suit, il confonde le Centre de Musiques traditionnelles Rhône-Alpes, et rejoint l’aventure du CEFEDEM Rhône-Alpes. Multipliant les disques et les expériences musicales croisées, il se consacre maintenant aux liens entre acoustique musicale et composition sur son instrument de prédilection, la cornemuse.
Le Bourdon, sa vie, son œuvre Dominique MAROUTIAN & Jacques « Ben » BENHAÏM (sous réserves)
Inspiré par le hootenanny de Lionel ROCHEMAN, qui accueille depuis 1964 des dizaines d’artistes (une chanson chacun !) dans une salle archicomble du Centre Culturel Américain Boulevard Raspail, le Folk Club Le Bourdon naît en 1969. Quelques-uns de ses fondateurs – parmi lesquels John WRIGHT et Catherine PERRIER, J.L. BALY, J. BENHAÏM, J.-F. DUTERTRE, C. GOURHAN, D. MAROUTIAN, R. MASON, J.-P. MORIEUX, E. PARRENIN, Alan STIVELL, Tran QUAN HAI, Steve WARING… – ont découvert au Québec les « boîtes à chansons », et rêvent de créer un Folk Club « à la française », à l’image de ceux d’outre-Manche : une première partie façon hootenanny et une deuxième partie avec un musicien ou un groupe invité.
Le but est la promotion de la musique traditionnelle, de toutes les traditions : des ateliers (pratique instrumentale, chant, danses), des festivals (Vesdun, Pons, Saint-Germain-de-Calberte), des collectes (Auvergne, Vosges, Vendée), et pour certains la tentation de l’ethnomusicologie sera forte. Enthousiasme un peu fou pour des musiques alors si mal connues !
Toutes les musiques du monde ou presque sont représentées au cours de la quinzaine d’années d’existence du Bourdon. Certains concerts rassemblent des centaines de personnes (les Watersons à la Cité Universitaire). Un peu nomade le Bourdon ira de salle en salle, citons de mémoire le Café de la Gare rue d’Odessa, une salle près de la Bourse, la Cité Universitaire Internationale, la Tanière dans le quartier Glacière.
Quelques-uns des fondateurs seront au Son Continu pour feuilleter l’album photo de leurs souvenirs du Bourdon, raconter ces temps héroïques, et apprécier où en est le mouvement qu’ils ont contribué à mettre en œuvre…
Dominique MAROUTIAN, né en 1946, découvre en 1962 à l’école normale d’instituteurs de Paris Pete SEEGER, Bob DYLAN et Joan BAEZ, la guitare et le banjo. Son destin musical est scellé. En 1965, il fonde les « Easy Dodgers » (prononcez Les Zizis dodgeurz), en 1969 fait partie des fondateurs du Bourdon et achète son premier banjo. Puis il délaisse le répertoire anglophone, et adapte en français Doc WATSON ou Pete SEEGER.
En 2012, il organise les retrouvailles des vieux folkeux, où présidait plus la joie de se retrouver que la nostalgie des années de jeunesse. Ces retrouvailles seront renouvelées en 2013, 2014 puis 2017 lors d’un « hommage joyeux » à John WRIGHT et Jean-François DUTERTRE récemment disparus.
Jacques BENHAÏM, dit Ben, est l’une des figures marquantes du folk en France. Lui aussi cofondateur du Folk-Club Le Bourdon, il chante, joue du violon et de la guimbarde au sein du premier groupe de musique traditionnelle réputé de l’hexagone, Grand-Mère Funibus folk. Leur disque 33t paru en 1974 influence nombre d’instrumentistes et chanteurs des années à venir.
Dans le Quercy où il réside désormais, il se tient loin des modes en continuant imperturbablement de chanter, jouer et conter.
Samedi 15 juillet
Les vielles à roue françaises du XVIIIe siècle
Françoise et Daniel SINIER de RIDDER
Dans toutes les catégories d’instrument, on suit les évolutions souvent dues à la pratique musicale, et aux avancées techniques comme les cordes, ou aux désirs des compositeurs. La vielle à roue, comme tous les instruments de musique, a connu toutes sortes d’évolutions, d’influences géographiques ou culturelles, de progrès techniques et mécaniques, portées par les compositeurs et les musiciens. Durant nos 50 années d’atelier nous avons eu le plaisir d’examiner d’innombrables vielles, d’observer les modifications, de noter les différences de style dues aux divers apports culturels, également les modifications dues aux « bricolages » chers à Claude LÉVI-STRAUSS, et les dégâts causés par l’abandon ou les maintenances malhabiles. C’est un instrument qui a connu en France durant tout le XVIIIe siècle un engouement extraordinaire et qui, fort de son succès, s’est exporté dans les grandes cours d’Europe mais également dans les provinces françaises. Ce sont ces instruments, parfois riches parfois modestes, parfois signés, parfois anonymes, que nous avons eu envie de montrer…
Daniel SINIER & Françoise de RIDDER, luthiers, restaurateurs, experts, organologues.
Après nos études à l’École nationale supérieure des arts appliqués – Métiers d’Art, (les Arza) nous ouvrons un premier atelier à Paris, dans le XXe arrondissement, et nous commençons à restaurer des instruments de musique anciens pour les marchands de la capitale. En 1971, nous déménageons pour le premier arrondissement, puis en 1979 nous quittons Paris et installons l’atelier à Saint-Chartier, dans l’Indre.
Durant 50 ans nous nous sommes consacrés exclusivement aux instruments de musique patrimoniaux et historiques, à leur restauration, leur étude, leur expertise et à leur négoce. Nos clients sont les grands marchands tant européens que mondiaux, les collections publiques ou privées, mais également les musiciens qui préfèrent jouer le répertoire sur des instruments anciens plutôt que sur des copies. De ces années passées à l’établi nous avons écrit quatre livres consacrés aux guitares historiques, un 5e dédié aux vielles à roue du XVIIIe siècle, et le 6e « Les mandolines françaises 1750-1950 » verra le jour fin 2023. En 2021 nous avons fêté nos 50 ans d’atelier comme il se doit…
Rencontre avec Gilles CHABENAT, Entretien avec Yannick GUILLOUX
Gilles CHABENAT découvre la vielle à roue avec l’association d’art et traditions populaires les Thiaulins de Lignières. Il se consacre alors au répertoire de sa région, le Centre de la France, avec déjà l’idée d’aborder d’autres styles musicaux. S’ensuivent de multiples rencontres, comme avec le groupe Corse I Muvrini grâce auquel il travaille notamment avec Véronique SANSON, Stephan EICHER, Jean-Jacques GOLDMAN ou STING.
Parallèlement il développe des projets en solo, ou des collaborations plus personnelles avec Frédéric PARIS ou Gabriel YACOUB. Son goût de l’expérimentation l’amène ensuite à croiser les univers du jazz, du théâtre ou de la musique de film. Ces dernières années l’ont conduit jusque dans le Mississippi avec le trio Muddy Gurdy pour une rencontre inédite entre la vielle et le Blues. Son approche de la vielle privilégie donc le caractère multiple d’un instrument qui se métamorphose sans cesse depuis plus de mille ans.
La vielle à roue multiplie les masques pour ménager les effets de son petit théâtre. L’approche de Gilles privilégie le caractère insaisissable d’un instrument qui se réinvente à l’infini. Il évoquera les nombreuses rencontres qui ont façonné ses choix de lutherie et marqué son parcours musical.
Gilles se produit au Son Continu cette année le 14 juillet : en concert avec Daniela HEIDERICH (harpe, chant) et en bal avec le groupe Fublène.
Dimanche 16 juillet
Louis JARRAUD chabretaire, par Philippe “Rando” RANDONNEIX
Louis JARRAUD, paysan (principalement), chabretaire (surtout), violoneux (aussi), depuis son hameau limousin du Barnagaud, à la Croisille-Sur-Briance en Haute-Vienne, a vu passer nombre de musiciens, de curieux, de collecteurs. Dans la petite pièce attenante à son habitation, il a toujours accueilli chacune et chacun avec chaleur, partageant sans réserve sa musique, aussi bien que toutes ses connaissances autour de celle-ci.
C’est en 2001 que Thierry LAMIREAU a réalisé, pour la chaîne de télévision locale Télé Millevaches un reportage, disponible en ligne [https://www.youtube.com/watch?v=ah0w3eW54pA]. À partir du visionnage de celui-ci, nous nous proposons de revoir, de détailler, de compléter, afin de lire, de commenter, de discuter “entre les images” de ce qu’un musicien comme Louis a pu nous apporter, non seulement par sa musique, mais aussi (et surtout) par son humanité.
Et, à partir de là, comment ne pas nous interroger sur notre rôle de musicien, dans nos musiques “traditionnelles”… ?
Après avoir débuté à l’adolescence avec une cabrette héritée d’un cousin, le Père JABET, “Rando” a été le tout premier à rejouer sur une chabrette neuve. Depuis, il participe toujours activement à la pratique de cette cornemuse jouée et retrouvée en Limousin.
C’est bien Louis JARRAUD qui a précédé tous les musiciens traditionnels rencontrés par Philippe. Depuis l’adolescence, les nombreuses visites chez le Père Louis ont été un des éléments fondateurs d’une certaine idée de la musique de chabrette…