Le décès en décembre 2019 de Michèle Fromenteau a plongé dans la tristesse tous les amis des musiques traditionnelles, en raison de l’action déterminante qu’a eu cette « grande dame de la vielle » : à l’origine des Rencontres de Saint-Chartier, elle est encore là lorsque « Le Son Continu » débute, en 2014. L’édition 2020 de ce festival devait lui rendre hommage. Mais un méchant virus en a décidé autrement. Il nous reste le virtuel, et c’est sur la toile d’Internet que cet hommage est publié.
L’action de Michèle Fromenteau peut être présentée selon quatre thématiques, quasi chronologiques. La première est liée à son entrée en musique : lorsqu’elle découvre la vielle, cet instrument est confiné à la musique folklorique. C’est donc dans ce contexte qu’elle se produit initialement. Puis elle s’en éloigne, pour une seconde vie musicale : alors que ce genre est tout aussi confidentiel que le folklore, Michèle découvre le baroque, et se lance dans une carrière illustrée par plusieurs productions discographiques. Troisième époque, Michelle délaisse cependant ces prestations pour se concentrer sur l’organisation des « Rencontres Internationales de Luthiers et Maîtres-Sonneurs » qu’elle a contribué à initier en 1976. Simultanément, au fil de leurs rencontres, Michèle et son mari Maurice se passionnent pour les vielles anciennes, et constituent peu à peu une collection de premier ordre, désormais donnée au musée de La Châtre.
Le « Son Continu » remercie tous ceux qui ont contribué à cet hommage en ligne :
- en premier lieu Maurice Bourg, son mari ;
- les membres du « Comité George Sand » – Gérard Guillaume, Yves Nonnet et leurs amis – ;
- Mic Baudimant, Patrick Foulatier, mémoires du folklore berrichon ;
- Gilles Kermarc et les archives de la « Nouvelle République » ;
- les fidèles des « Rencontres », Jean-Luc Matte, Philippe Krümm, Jeff Dantin ;
- le Musée George Sand et de la Vallée Noire à La Châtre.

Michèle, musicienne de folklore
Michèle Fromenteau, née en 1937, passe l’essentiel de son enfance à Poulaines, dans le nord de l’Indre, où son père est notaire. De santé fragile, elle doit rester à la maison et s’ennuie. Ses parents font alors l’acquisition de deux vielles, pour elle et sa sœur Nicole, née en 1935. Après des leçons auprès du vielleux Gabriel Lambert, de Saint-Outrille en Gracay (Cher), les deux apprenties se révèlent douées : elles se produisent en duo, et sont l’attraction de nombreuses fêtes folkloriques. Elles accompagnent souvent Jean-Louis Boncœur, le populaire diseur berrichon.
Les deux jeunes sœurs vielleuses sont bien vite adoptées par la fine fleur du folklore berrichon. Elles jouent avec le sancerrois André Dubois ; Roger Pearron les invite à diverses escapades au sein des Thiaulins de Lignières. Elles prennent des leçons avec le maître-vielleux Gaston Guillemain, au Châtelet-en-Berry, participent aux soirées de la mairie du XIIIe arrondissement, organisées par l’Amicale Bas-Berrichonne de Paris, et se lient d’amitié avec Jean Roux [vielleux berrichon, ami d’André Dubois, décédé en 1993], qui habitait à La Guerche (Cher) en ce temps-là. En 1952, Michèle et Nicole postulent même pour entrer aux « Gâs du Berry », le plus ancien des groupes folkloriques berrichons.
On devait passer l’examen d’entrée le 30 mars, mais le président, Édouard Bignet, est mort deux jours avant, l’assemblée a donc été reportée. La commission chargée de l’audition des élèves s’est réunie finalement à Ardentes le 7 août 1952, et a décidé d’ajourner notre admission en nous engageant à travailler dans le ton de la cornemuse surtout, et à accorder nos vielles avec beaucoup de précision. Finalement, nous avons été beaucoup plus libres.
Alors elles continuent de jouer aux côtés de Jean-Louis Boncœur pour des animations, des concerts, des voyages à l’étranger, notamment avec « Les Compagnons de la Claire Fontaine » de Poitiers. Mais, en août 1958, c’est le drame : elles ont un accident sur la route de La Guerche, en allant retrouver Jean Roux. Nicole décède quelques jours plus tard. Michèle cesse de jouer : pendant un an et demi ou deux ans, il y a eu une interruption. Je me suis demandée si je continuais ou pas. J’ai vraiment été entourée. Il reste de cette époque un carnet, trop tôt interrompu : le livre d’or des sœurs Fromenteau, dédicacé par toutes les personnalités qui avaient pu admirer leur jeu durant les années 1950. Sous le couvercle du clavier de la vielle de Nicole, on trouve la signature de Maurice Genevoix.
Michèle et Nicole Fromenteau de part et d’autre de leur professeur Gabriel Lambert, qui disait d’elles : “Je revendique le grand bonheur de leur avoir inculqué mes premiers principes. Elles m’ont dépassé. Je leur tire mon chapeau et leur demande de se souvenir un peu de moi lorsqu’elles joueront nos vieux airs du Berry (1956)”
Au restaurant de la Gare à Ardentes, chez “Fradet”, lors d’une remise de médaille à Joseph Fleuret en 1963, Michèle Fromenteau est la seule femme instrumentiste. Assis au 1er plan de gauche à droite on trouve Claude Oliveau (vielle), Jean Fleuret (vielle), Joseph Fleuret (cornemuse), Henri Joly (vielle), Fernand Langlois, Gaston Riviere (vielle) et Gaston Guillemain (vielle). En arrière-plan, de gauche à droite : Solange Fleuret (fille de Joseph), René Wissocq (maire d’Ardentes), Jean-Louis, Michèle Fromenteau(vielle), et trois cornemuseux des « Gâs du Berry », Jean-Pierre Mercier, Lucien et Maurice Foulatier

Membre du conseil d’administration de « l’Amicale des vielleux-cornemuseux », Michèle Fromenteau siège ici avec à sa droite Gaston Rivière, et à sa gauche ses amis André Dubois et Jean Roux.
Michèle, musicienne baroque
Après le décès de Nicole, le retour à la vielle est difficile. Un changement de répertoire va le faciliter. En 1964, France Vernillat, productrice à Radio-France et co-auteur de L’histoire de France par les chansons, la contacte pour participer à l’émission « Histoire d’un instrument ».
France Vernillat est venue au « Musée de la vielle » à Montluçon [le MuPop actuel], pour un programme sur cet instrument. Elle a souhaité qu’il y figure une partie consacrée au XVIIIe siècle. Jean Favière, alors conservateur des musées de Bourges et Montluçon, a donné mon nom, France Vernillat m’a envoyé une musique du XVIIIe en me demandant de l’interpréter. J’avais appris le piano avant la vielle, à l’âge de 6 ans, et cela m’a bien aidée.
Michèle découvre alors la musique baroque pour vielle : tout est à construire autour de ce répertoire, mal connu. Pour ce faire, elle doit mener des recherches, doit modifier sa vielle pour exécuter les traits de virtuosité caractérisant ces mélodies.
La sonorité de ma Pouget correspondait à ce répertoire, il a seulement fallu l’adapter, car ses touches « en marguerite », assez espacées, étaient inadaptées aux traits de virtuosité, comme dans « Les quatre saisons ». Alors je l’ai confiée à Marcel Soing, qui a changé toutes les touches, refait le clavier, et les décalcomanies d’origine en ont souffert ! […] J’ai senti l’intérêt qu’il y avait dans cette musique : l’accompagnement, l’orchestre, etc. Et j’ai eu envie de connaître le répertoire. France Vernillat m’a procuré une carte me permettant d’accéder à la Bibliothèque Nationale, J’y suis allée durant plusieurs années pour faire des recherches. Par la suite France Vernillat m’a fait connaître Ariane Segal, productrice de disques pour la firme Arion, qui elle-même m’a présentée à Roger Cotte, lequel m’a incorporé dans son ensemble, le « Groupe d’instruments anciens de Paris ».
Intégrant cet ensemble en 1966, Michèle se révèle douée, et s’insère sans peine dans ce répertoire qui, pour Roger Cotte, couvrait le Moyen Âge, la Renaissance et le XVIIIe siècle. Ce qui m’a impressionnée au début, n’ayant pas fait d’études spéciales, c’est de me retrouver soliste au sein d’un orchestre. Puis viennent les disques : Ariane Segal me propose de participer à plusieurs enregistrements, à savoir « Quatre concerti pour instruments rares », le 1er volume en 1972 – où je joue « Les récréations du berger fortuné » – et le 2nd en 1979, avec l’adaptation du « Printemps » de Vivaldi par Nicolas Chedeville. À côté de ces disques où je n’avais que des participations, j’enregistre les deux volumes de « L’art de la vielle à roue », en 1975 et 1981 [toujours disponibles en CD]. Mais avant que mes disques ne sortent, j’avais donné beaucoup de concerts avec Roger Cotte…
Michèle mène sa carrière de vielleuse pendant une quasi-trentaine d’années, de 1964 à 1990. Sa vielle s’insère sans peine entre basse continue, flûte et violon, sans doute son habitude de la musique à danser – héritage de sa formation folklorique initiale – n’est-elle pas absente de l’allant que chacun lui reconnaît. Claude Morel, l’ingénieur du son, était surpris par le rythme que j’apportais, il me disait : « Ca se sent que tu as fais du folklore ». Les concerts se succèdent : J’ai joué à La Chaise-Dieu en 1979, à Venise en 1983. Ensuite, j’ai joué pour le « Napoléon » d’Abel Gance à Strasbourg, puis à la « La nuit des instruments anciens » à la Conciergerie à Paris, etc. J’ai collaboré à l’ensemble de Jean-Claude Malgloire, et mon dernier concert fut lors du « Printemps baroque de Nice », avec Gilbert Bezzina en 1990.
Cette carrière est interrompue – on le sait peu – par le développement des « Rencontres internationales de luthiers et maîtres sonneurs » de Saint-Chartier, très chronophages. A l’époque, il n’y avait pas de directeur, de secrétaire. C’était un choix : soit je continuais à organiser les « Rencontres », soit je poursuivais ma carrière de concertiste. J’ai choisi Saint-Chartier. Et puis il y avait aussi le fait qu’il aurait fallu que je me déplace beaucoup plus, faire des recherches plus approfondies, et pour les répétitions, c’était difficile, car il fallait se rendre à Paris…
Michèle, à l’origine du festival
Initialement, l’idée d’un festival annuel, une « grand-messe » des vielles et cornemuses n’était dans l’idée de personne. En 1976, on songe simplement à célébrer dignement le centenaire du décès de George Sand, et pour cela le château de Saint-Chartier, où se déroule l’épreuve initiatique du héros des Maîtres Sonneurs s’impose. C’est Michèle qui suggère de convier des luthiers :
Grâce à George Sand, en effet, le festival est né en 1976 dans le cadre de manifestations visant à honorer la « bonne dame de Nohant ». Nous n’avions d’ailleurs pas l’intention de faire un festival, comme je le rappelle souvent : il y a eu en 1976 à l’occasion du centenaire de sa mort, une volonté de réaliser des manifestations autour de G. Sand, d’animer certains lieux décrits dans ses romans, c’est ainsi que le château des Maîtres Sonneurs a été choisi. J’ai alors pensé que, en dehors des groupes de folklore, il était intéressant d’inviter des fabricants puisque moi-même, avec ma vielle, j’avais quelquefois des problèmes de mise au point. Tout est parti de là.
Jean-Louis Boncœur préside à l’organisation. Il constate comme Michelle que la présence des luthiers – ils ne sont que … en 1976 – correspond à un véritable besoin, et qu’elle permet d’attirer un public jeune, friand de musiques traditionnelles, alors en plein essor.
Nous avons décidé de continuer. Ainsi sont nées les Rencontres et ensuite, chaque année, le festival a grandi. Personnellement j’ai été ainsi poussée vers cette aventure : je n’étais pas du tout préparée à cela.
Le Comité George Sand s’associe alors au Comité des Fêtes de St-Chartier qui gère l’organisation des campings, la nourriture, le bar. De son côté Michelle s’implique de plus dans la programmation des concerts et choisit pour cela de mettre un terme à sa carrière de concertiste :
A l’époque, il n’y avait pas de directeur, de secrétaire. C’était un choix : soit je continuais à organiser les « Rencontres », soit je poursuivais ma carrière de concertiste. J’ai choisi Saint-Chartier. Et puis il y avait aussi le fait qu’il aurait fallu que je me déplace beaucoup plus, faire des recherches plus approfondies, et pour les répétitions, c’était difficile, car il fallait se rendre à Paris…
Michèle Fromenteau, aidée de Maurice Bourg, son mari, donne alors aux rencontres la dimension multiculturelle qu’on leur connaît : un mélange de toutes les tendances, de toutes les expressions, du baroque au folklore, de l’ethnique au contemporain.
Jusqu’à une époque assez récente, il y a eu une dimension folklorique aux « Rencontres ». Le dimanche après-midi, il y avait un groupe folklorique. Jean-Louis Boncœur y était très attaché. A Saint-Chartier, il voyait l’évolution non pas d’un mauvais œil mais, en réalité, ça lui faisait peur. Il ne disait trop rien, mais précisait : « Je suis un mainteneur. Michèle, où vas–tu ? » D’un autre côté, comme il constatait le succès de s Rencontres, il nous laissait faire.
À côté des concerts, Michèle, aidée de son amie Marianne Bröcker [Professeur d’ethnomusicologie à l’Université de Bamberg (Allemagne)], depuis disparue, organise expositions et conférences : les « Rencontres » acquièrent leurs lettres de noblesse en devenant un réel lieu où s’échange la connaissance (lutherie, musique, danse, histoire) dans un contexte festif.
Puis, lorsqu’il faut quitter Saint-Chartier en 2009, Michelle est encore là pour la migration vers le Château d’Ars voisin. Certes, elle a quitté la présidence du Comité George Sand, a confié la programmation à d’autres, mais pendant 25 ans, c’est elle qui a mené cette aventure.
L’arrêt brutal du Comité, début 2014, met en péril le devenir des Rencontres, mais on retrouve encore Michelle et Maurice, qui s’investissent pour qu’une nouvelle équipe reprenne les rênes de l’organisation. Ce sera « le Son Continu », que Michelle honorait d’une visite chaque année, jusqu’à ce que la maladie l’immobilise.
Michèle, collectionneuse
La double pratique instrumentale de Michèle Fromenteau, du répertoire folklorique au baroque, du défilé de rue à la salle de concert, l’oblige à posséder deux vielles à roue, une Pimpard et une Pouget. A la mort de son professeur Eugène Lambert, elle hérite de son instrument, fabriqué par le luthier Georges Simon. Michèle et son époux Maurice Bourg ne pensent pas encore à constituer une collection. Le hasard, les voyages et les rencontres vont au fil des années les conduire à collecter, chercher, chiner toute forme de représentation de l’instrument. Au cœur de cette collection faite d’œuvres d’art et d’arts décoratifs, d’éditions et partitions anciennes, le déclic se fait au début des années 2000 lorsqu’on leur propose une dizaine d’instruments anciens. La collection de vielle va donc s’enrichir pendant près de 15 ans de plus de 40 instruments. La démarche est réfléchie : parvenir à constituer un panorama représentatif de la fabrication française de la vielle à roue de la fin du XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Bien évidemment la production du Centre France est très bien représentée avec de nombreuses vielles venant du centre de production de Jenzat (Allier) et ses plus grands représentants Gilbert Nigout, Claude Pimpard et la famille Pajot
Pour autant, la richesse de cette collection réside en sa diversité de lieux et dans l’étendue des périodes de production.
La plus ancienne vielle de la collection est datée de la fin du XVIIe siècle. L’instrument, bien qu’ouvragé, reste encore un peu rustique. Il est encore en forme de trapèze, ce qui indique une transition avec la facture instrumentale à venir. Pour être au plus près de l’histoire de l’instrument, le couple acquiert une importante série de vielles d’époque baroque ; le XVIIIe siècle étant le siècle d’or du renouveau de l’instrument. Pour Michèle Fromenteau, la collection prend une dimension musicale et symbolique, celle de son propre renouveau en lien avec sa carrière de musicienne baroque. A cette époque, c’est la production parisienne qui tient le haut du panier. La collection s’enrichit donc de vielles à la facture remarquable, dont la vielle Varquain, datée de 1747 en est le chef-d’œuvre.
Fidèles aux luthiers du Festival qui les accompagnent depuis de nombreuses années, Michèle et Maurice ouvrent leur collection à des réalisation contemporaines, copiant d’anciens modèles et font appel aux amis Siorat, Reichmann, Norwood et Kerbœuf.
La question de la transmission intervient rapidement à propos de la collection. Comme pour la musique qui se donne à écouter aux autres, Michèle Fromenteau et Maurice Bourg décident de donner à voir cette collection au plus grand nombre. Ce sera donc une donation complète des 44 instruments au Musée George Sand et de la Vallée Noire de La Châtre. A cette occasion, une importante exposition est organisée pour valoriser la collection au Château d’Ars en 2014. Elle est intitulée « Les belles Vielleuses » et se concentre sur la pratique féminine de l’instrument ; Michèle en étant le point central.
A travers cette donation, c’est toute une histoire qui est retracée, celle de la vielle à roue et du festival. Une collection forte qui a une âme, celle de Michèle.